jeudi 17 mars 2011

ONZIEME SEANCE : DEBLOQUER L’ECRITURE

Aujourd’hui, j’avais prévu une activité d’écriture à partir de photos. Tout d’un coup, à la dernière minute, je change d’idée ; le travail de création est soumis aux imprévus : depuis quelques jours déjà, je suis bloqué dans le roman que je suis en train d’écrire. Chaque matin, je me retrouve devant la feuille blanche : les mots ne viennent pas. Ils ne veulent pas venir ? Ne peuvent pas venir ? Ne savent pas venir ? C’est un roman qui parle de nos villes ; de celles qui ont été détruites dans l’histoire de l’humanité : Pompéi, Troie, Lisbonne, Hiroshima, Port au Prince, Tchernobyl, Tokyo… D’ailleurs, pendant que je me penchais sur ces catastrophes, le séisme et le tsunami japonais surgirent dans l’actualité. Soudain, le réel dépasse la fiction – c’est peut-être cela qui me paralyse... Dans le roman, mon personnage se trouve dans le musée de Madrid, face au tableau Guernica. C’est là que je suis bloqué.


La veille, je décide d’utiliser cette « panne » d’inspiration pour construire ma séance d’atelier : in extremis, je change la séance, et leur propose d’écrire à partir du tableau de Picasso. D’entrée de jeu, j’explique aux jeunes ce qui m’arrive. On parle des villes détruites, on évoque évidemment Fukushima, le Japon, les catastrophes provoquées par la nature, celles provoquées par l’homme. Je montre Guernica au vidéoprojecteur ­– miracle de la technologie, qui produit tout à la fois le meilleur et le pire. Je propose différents jeux d’écriture autour du tableau. Ils se mettent au travail, avec toujours le même plaisir, la même curiosité. Mais aujourd’hui, on sent une jubilation, une générosité inhabituelle et naïve : cette fois, ils écrivent pour moi, pour m’aider, pour me dépanner, en venant à mon secours… Leurs textes sont touchants, émouvants. Je ne les accrocherai pas car pendant que je les lis, je me rends compte que cette-fois ci ils n’ont pas cherché la réussite ou la performance littéraire : tout simplement, ils ont cherché à m’aider. Et je dois avouer que finalement, ils sont arrivés à le faire : jeudi soir, après mes séances dans les collèges, je rentre chez moi et je reprends mon roman. Et là, les mots viennent, les mots surgissent, les mots me rejoignent. Je les avais perdus, et c’est eux – ces jeunes du 93 qu’on accuse d’être sans langage –, qui me les ont rendus…